Mai 68 témoigne de la plus remarquable manipulation idéologique de l'après-guerre, celle qui assura le passage de la Vieille France à la Nouvelle France du libéralisme sauvage.
En Mai 68, le psychodrame s'est joué au sommet de l'Etat. Il révéla, à l'évidence, les enjeux de l'histoire, incarnée selon trois rôles mythique : le père sévère (de Gaulles), l'enfant terrible (Cohn-Bendit), le libéral débonnaire (Pompidou). C'est l'affrontement des trois situations de la bourgeoisie, des trois systèmes idéologiques possibles. En scène : la Vieille France vertueuse issue de la victoire sur le fascisme et, d'autre part, la Nouvelle France qui se cherchait et qui s'est accomplie dans la synthèse d'un libéralisme ô combien répressif dans l'acte de produire et ô combien permissif dans l'acte de consommer.
Il a donc fallu l'alliance sournoise du libéral et du libertaire pour liquider le vieux, qui a dû s'en aller. Après ce meurtre rituel du père, a été accordée, au sommet, pas l'Etat, la permission du permissif qui a donné accès au marché du désir.
Mai 68 annonce aussi le grand partage entre les trois pouvoirs constitutifs de l'actuel consensus : libéral, social-démocrate, libertaire. Au premier est dévolue la gestion économique, au second la gestion administrative, au troisième celle des moeurs devenues nécessaires au marché du désir.
On aura ainsi la Nouvelle France.
Michel Clouscard
Néo-fascisme et idéologie du désir (1973)
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